lundi 29 juillet 2013

Dans la tête d'une statue





Lettre d’une statue au conservateur du musée du Louvre



Cher Monsieur le Conservateur,


         Depuis toujours vous me connaissez.  Le premier, vous avez admiré mon marbre blanc, mes courbes généreuses, ma posture idéalement exécutée. Vous avez orchestré ma restauration (j’étais déjà parfaite ceci dit). Vous avez ordonné des travaux d’électricité, afin de me valoriser. Vous avez disposé un joli ruban rouge pour dissuader les gens de m’approcher.
Vous avez tout fait pour moi, je vous suis redevable je le sais.

        Néanmoins, depuis quelques semaines, je me sens d’humeur mélancolique. A qui puis-je m’adresser, sinon à vous, mon fidèle admirateur ?
La perte de mes bras demeure une étape douloureuse de ma vie. Aussi, quand de jeunes blancs-becs osent toucher mon moignon droit, outrepassant leurs droits, je souhaite ardemment, du plus profond  de mon immobilité, leur foutre un bon coup de pied en marbre au derrière.
Hélàs, je ne puis ! Je suis prisonnière sur mon socle. Destinée à moisir entre une Diane chasseresse allumeuse et un sanglier aux yeux vitreux ! Un psychologue pourrait peut-être me faire le plus grand bien ? Cela me soulagerait de parler. Oh, seulement quelques séances, histoire de faire le deuil de mes bras, une bonne fois pour toutes.

       Les  siècles passés m’ont fait devenir pudique, je l’avoue. Pourtant, j’ai bien supporté quelques milliers d’années le torse dénudé ! Mais je me lasse d’être pesée, évaluée, mesurée de l’œil, critiquée…toutes ces jalouses, et tous ces obsédés !
Donc, serait-il possible d’avoir un petit châle léger, à jeter négligemment sur mes épaules ? Assorti à mon drapé bien sûr.

        Et sinon… j’oubliais, je ne supporte plus le voisinage du sanglier mentionné plus haut. Ses grognements la nuit deviennent infernaux. Nous sommes plusieurs sculptures à n’en plus pouvoir ! Ne pourrait-il pas migrer vers la salle des bestiaux romains ?  Le plus simple serait de me placer toute seule dans une salle. Au moins, je serais tranquille.

       Une dernière chose, mon bon Conservateur. Lorsque le public a enfin quitté ma salle, je jouis d’un repos bien mérité. Or  les gardiens profitent de cet instant pour commérer à tout va ! Silence bon sang !  Un peu de respect pour nos antiques oreilles !

       Voilà, cher monsieur, j’arrive au bout de ma lettre. Je ne doute pas que vous puissiez combler ces modestes désirs. Une salle pour moi toute seule, du silence, un châle.  Trois fois rien, sinon je retourne sur ma petite île grecque, foi de Vénus. Et un psy. Si si, j'y tiens mon ami.

     Toutes mes sincères salutations Monsieur le Conservateur.

La Vénus de Milo 






Je peux savoir ce que vous regardez monsieur ? 




Un peu de silence vous là-bas !

   


samedi 27 juillet 2013

Dans la tête d'une girouette




Merci Emilie pour cette idée.

 

Sur mon balai de fer, je chevauche la houle
Du haut de mes ardoises bleutées, je défie le ciel et la foule
Des oiseaux… pigeons, tourterelles, mouettes ou hirondelles
S’ils volent un peu trop près, un regard suffit, ils fuient à tire-d’aile
Mon maître unique, c’est le Vent
A lui seul j’obéis invariablement

Et bla bla bla…
Ok je suis une girouette-sorcière.
Ok je suis plutôt située sur un toit de type pourvu d’ardoises… bleues si on veut.
Ok je vois pas mal de volatiles.
Ok j’obéis au vent, plus ou moins…
Mais bon de là à dire que j’adore mon métier, que ma passion c’est de chevaucher la houle, n’exagérons pas !

Mon petit péché mignon, j’avoue, c’est l’espionnage. Girouette-sorcière-espionne.
« Commère » dit la vieille mouette jalouse sur l’antenne (elle passe son temps à me narguer).
De mon poste, on bénéficie d’une magnifique vue sur tout le quartier environnant, ainsi que sur le jardin de la maison. Le plus intéressant étant le large perron.

Il en arrive de ces choses sur ce perron ! Combien de conversations ai-je entendues, apportées par le vent !
Oh parfois je suis déçue, il n’y a rien de croustillant à se mettre sous la dent : des discussions de petites filles, Lucie  et la petite voisine. Elles parlent de corde à sauter et d’élastiques. Des baisers langoureux qui n’en finissent pas. Des jurons de gens qui ne retrouvent pas leur clé. 

Mais souvent, je suis bien récompensée pour ma patience.
J’écoute les critiques, les moqueries, les faux-semblants…
J’entends aussi les espoirs,  les rêves, les désirs.
Les déceptions, les chutes, les pleurs.
Les masques tombent sur le seuil du perron. Et les mots volent jusqu’à moi, innocente girouette. Alors, dans une petite pirouette, je les engloutis.  
Puis, je tourne jusqu’à en avoir le tournis. Jusqu’à l’oubli.

Sur mon balai de fer, je chevauche la houle
Du haut de mes ardoises bleutées, je défie le ciel et la foule














mercredi 24 juillet 2013

Dans la tête d'un grain de sable



 Conte du grain de sable voyageur


C’est l’histoire d’un grain de sable, qui s’appelait Pedro.

Pedro vivait sur une plage de Bretagne, depuis toujours, ou du moins, du plus loin qu’il s’en souvenait.
Tout était parfait.  La dune l’abritait des coups de vent, une barrière et quelques plantes sauvages  constituaient son unique horizon.  Car Pedro vivait sur le Haut de la Plage.

Un jour, le bonheur de Pedro vacilla. Ce matin-là, le ciel était gris. La tempête avait soufflé toute la nuit. Le vent très violent avait fait des ravages : des masses de sable avaient volé, soulevées par les assauts de la tempête.
A son réveil, Pedro se retrouva nez-à-nez avec un inconnu. Il fit la rencontre de Nino :

« Salut,  dit Pedro.
-Salut, répondit Nino.
-Tu viens d’où ? le questionna Pedro.
- Je viens du Bas de la Plage. On est où ici ? Je ne reconnais rien ! » s’exclama le nouveau venu.

Alors Pedro lui expliqua le Haut de la Plage, le sable sec, la dune, la barrière, les plantes. Puis, Nino lui parla du Bas de la Plage. Cette contrée demeurait lointaine, presque imaginaire pour les habitants du Haut de la Plage.
Nino lui raconta les coquillages, les algues mouillées, la mer salée, les vaguelettes sur le rivage, les crabes…
Et Pedro écoutait, subjugué. Alors c’était donc ça, ce bruit continu, la mer ! 

Dès lors, il n’eut plus qu’une envie, voir la mer.
C’est ainsi que Nino et Pedro, un beau matin, partirent ensemble en voyage. Voyage du retour pour Nino, voyage de découverte pour Pedro.

Le voyage fut long. Ils profitèrent parfois des bourrasques du vent pour progresser de quelques centimètres. Une fois, un enfant les transporta dans son seau. Puis, ils durent escalader des montagnes d’algues sèches.  Ils voyagèrent un peu à dos de puce de mer. Des cailloux les obligèrent à faire un grand détour.  Pedro ne  se décourageait pas, il avançait, avec une seule idée fixe : la mer serait au bout de ce périple. 

Un jour, alors qu’il leur restait deux mètres à parcourir, un pied nu vint se poser tout près d’eux.
« Vite ! Saute dessus et cramponne-toi » hurla Nino.
Aussitôt, les deux grains de sable se retrouvèrent agrippés au pied, collant de toutes leurs forces la peau nue. La sensation était grisante, et surtout, Pedro, du haut de son pied, aperçut enfin la mer.
« Waouuu !!! Magnifique» s’écria-t-il.
Une seconde plus tard, ils se retrouvaient projetés dans l’eau.  Pedro n’oublia jamais ce premier contact avec la mer. Il se sentit vivre comme jamais !


Depuis ce jour, Pedro vit  dans le Bas de la Plage, il habite dans un joli coquillage, non loin de chez Nino  Il ne se lasse pas des caresses de la marée. Et pour rien au monde il ne quitterait sa mer.

Hé oui,  le bonheur est simple pour un grain de sable.




Les quelques mètres qui ont changé la vie de Pedro

lundi 22 juillet 2013

Dans la tête d'un nourrisson

...Ou plutôt dans la tête de Jeanne.
Spéciale dédicace à Emilie et Romain.



Le rêve de Jeanne




Cette nuit j’ai rêvé. C’était la première fois. Protégée par ma turbulette, j’ai osé m’aventurer sur le chemin des rêves. Au début, je n’osais pas, je pleurais un peu. Puis doucement, je me suis laissée porter.  Je flottais, portée par un bel oiseau. Une chouette, je crois. Ses ailes étaient recourbées, pour m’empêcher de tomber.

Nous faisons quelques ronds dans ma chambre, puis nous partons voler dans la maison. Le bureau de maman, et tous ses livres que j’ai hâte de pouvoir toucher… la chambre de mes parents, leurs visages endormis, apaisés… la descente en flèche dans l’escalier, puis le bureau de papa, et toutes ses bandes dessinées (bientôt, bientôt)… le salon… Bel-Gazou, qui nous regarde intriguée. Vite, mon bel oiseau, sortons !

Nous voilà dehors. Comme le jardin sent bon ! J’ai envie de découvrir toutes ces nouvelles odeurs.  Des bruits lointains nous parviennent. Sur mon destrier ailé, je gravis un immense escalier. Ma curiosité est sans limite ! Ma chouette prend son élan et s’envole au-dessus des arbres noirs. Dans mon petit cœur,  ça fait boum-boum.  Tant d’émotions ! Nous planons sur un lit d’arbres… les feuilles chatouillent mes mains et la lune veille. Je m’accroche aux plumes, tandis que nous plongeons sur les toits.

Le vent caresse mes joues. C’est si doux. Nous croisons d’autres oiseaux de nuit. Dans la nuit d’été, je me sens grande. J’ai soif de découvertes.

Tout à coup, j’ai envie de sentir les mains de papa caressant ma tête. J’ai envie de sentir l’odeur de maman tout contre moi.
Et puis j’ai faim.

Zut ! Au revoir ma chouette, au revoir la nuit, la lune, les toits…
Une autre fois je reviendrai promis !




 Bon anniversaire Emilie !




samedi 20 juillet 2013

Dans la tête d'une chaussette seule





La complainte d'une chaussette esseulée



Ce soir, au fond du tiroir, je suis seule
Mon aimé, ma moitié, où donc es-tu ?
Je le savais, oui, j’étais prévenue,
Prends garde, disaient mes amis, jamais
Il ne faut s’attacher, rêver, aimer
Une chaussette est si vite égarée.

Je n’ai pu maîtriser mes sentiments
Cette jolie paire en coton blanc
Que nous formions, c’était toute ma vie
Que vais-je devenir sans toi, chéri ?
Mon aimé, ma moitié, où donc es-tu ?
Dans la machine, as-tu disparu ?
Au fond d’un bac, dans la poubelle, perdu ?
Ce soir, au fond du tiroir, je suis seule.



 "youhou, chéri tu es là dedans ?"