vendredi 16 août 2013

Dans la tête d'une vieille machine à écrire




Souvenirs d’une vieille machine à écrire



Aujourd’hui,  je suis vieille. Ma carcasse gît dans un grenier, au fond d’une malle, sous un tas de vieilles revues de mode. Derrière un rideau de velours déchiré. On peut dire que je suis bien cachée !

Au fond de ma malle, maintenant que j’ai tout mon temps, je me prends souvent à divaguer. Je me remémore mes jeunes années… 

Il y eut  une première guerre. Un colonel froid et moustachu. Des ordres, des mutations, des missions. C’était ennuyeux et stressant. Il faut dire que je débutais tout juste à l’époque, un rien m’impressionnait.

Les années folles…les cabarets, le jazz… Je me souviens avec émotion de ce jeune musicien qui écrivait  avec fougue de magnifiques textes, à n’importe quelle heure de la nuit. Secrètement, je l’aimais. C’était une période légère, insouciante et amusante ! Lorsqu’il m’a revendue, cela m’a déchiré le cœur. 

Par la suite, j’ai changé de propriétaire bien souvent. Je passais de main en main, vendue, revendue, prêtée et même donnée. Un maire, une secrétaire, un médecin, un homme politique…J’en oublie. Fouillis dans ma tête, tournis dans mes touches. Je travaillais sans cesse…J’étais si sérieuse, si empressée de bien faire.

La dactylographe était jolie. Je me souviens qu’entre deux courriers, elle glissait en rougissant une feuille sur laquelle elle laissait des mots d’amour s’envoler. Je n’aurais jamais trahi son secret.

Vint une seconde guerre. Mon souvenir est rayé de zones d’ombre. Peut-être ai-je préféré oublier certaines lettres, qui me semblaient obscures ? Des hommes sombres, en uniformes, tapaient rageusement des  convocations  auxquelles le bruit de mon chariot répondait, lugubrement.

Après la guerre, j’ai atterri dans une vente aux enchères. Je me sentais perdue, vulnérable. Un jeune garçon m’acheta pour une bouchée de pain. Il m’emporta à la campagne. Heureusement, les années qui suivirent furent douces et paisibles. Je ne travaillais presque pas. Quelques lettres formelles rien de plus. Ainsi libérée, j’ai pu librement soigner les blessures de ma mémoire, tout doucement.

Le temps a filé, le jeune garçon a grandi,  des enfants sont nés. Aujourd’hui, je sommeille dans le grenier de la ferme du garçon, devenu grand-père.
Parfois sa petite-fille vient jouer derrière le rideau de velours. Elle ouvre la malle tout doucement. Avec délicatesse, elle me sort, avec tendresse, elle me dépose au sol. Je suis un peu cassée, elle prend soin de moi. Puis, malicieuse, elle tape quelques mots pour écrire son histoire à elle. Je sors de l’oubli et nous pouvons alors rêver à deux. 




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