pstt, par ici petit
Le discours de
bienvenue
8h30 Vendredi matin. Les premiers clients entrent dans le
supermarché. Au rayon poissonnerie, le poissonnier prépare son étal. Dans l’aquarium,
il déverse un jeune homard, fraîchement péché.
Ce dernier retrouve le contact de l’eau et cela le revigore soudain.
Mais, très vite, il réalise qu’il n’a pas retrouvé l’océan. Autour de lui, des
masses sombres sommeillent. « Où
suis-je donc ? » se demande-t-il, légèrement angoissé. Il croit
distinguer une pince, quelques carapaces.
Son inquiétude grandit, lorsqu’une antenne le frôle. Le jeune homard
fait volte-face, sur la défensive, prêt à se battre !
« Bonjour ».
Un autre homard, plus grand, se tient devant lui. « Et bienvenue ».
Quelques minutes plus tard, les deux homards se retrouvent
dans un angle de l’aquarium, pour discuter à leur aise. Léon, le plus âgé, se
tourne vers le nouveau venu :
« Tu vois, John, ici ça s’appelle un aquarium. Et ça,
dit-il en cognant sa pince contre le verre de la paroi, c’est la limite de ta
nouvelle vie. »
John déglutit avec difficulté : « Limite ? »
« Oui, nous sommes cloîtrés dans ce cube en verre, bien
trop étroit pour nous tous, je te l’accorde ! »
« Nous tous ? »
demande le jeune homard en regardant autour de lui, non sans inquiétude.
« Nous, les homards, et les tourteaux. Nous sommes tous
ici pour être achetés, par les clients,
que tu vas bientôt découvrir. »
« Mais pour quoi faire ? » John panique un
peu.
« Ecoute-moi, John. Calme-toi. Etre acheté est la
dernière chose que tu vas souhaiter à partir de maintenant. Car, si tu es
acheté, tu te retrouveras dans une
marmite d’eau bouillante et… tu finiras dans une assiette. »
«Non ! » Le
jeune homard sent le stress envahir toute sa carapace. « Mais ne peut-on
rien faire ? S’enfuir ? Muer ? Se battre ? Creuser une
galerie ?»
« Non. Enfin, pas grand-chose » répond Léon,
stoïque. Il époussette son bel abdomen
bleu. « Et ici tu n’as ni sable ni vase pour creuser. »
« Pas grand-chose, mais quoi ? » insiste
John.
« Je ne veux pas te donner de faux espoir, petit. Mais moi qui suis le homard le plus ancien de
ces lieux, j’ai acquis quelques techniques, que je consens à te livrer. Nécessaires à ta survie. »
Léon
bombe le torse :
« Pour commencer, tu ne te lieras jamais avec les tourteaux.
Ton intérêt étant que ce soit eux qui partent dans la marmite. De plus, ils
nous cherchent souvent querelle, inutile de prendre le risque de te blesser.
Les autres homards sont sympas, mais ne t’attache pas trop.
Ils peuvent partir d’un jour à l’autre. Et… ne tombe pas amoureux !!!
Surtout pas ! John, ce point est capital ! Un chagrin d’amour dans ce
contexte est synonyme de mort assurée.
Le principe de base pour survivre ici est simple. Se faire
oublier. Se la jouer discret lorsque des clients viennent coller leurs gros
yeux à la vitre. Ils font ça pour inspecter la marchandise. Ignore les gamins,
ce sont les pires ! Prends alors un air triste et pitoyable, fais pendre
tes pinces misérablement. Aie l’air malade ! Ainsi ils diront « Non,
non pas celui-ci, mettez-moi plutôt un crabe. » Tu saisis ?
Ensuite, il y a autre chose.
Créer un lien avec le poissonnier. Si tu sais, le type qui t’a ramené
là. Il nous nourrit tous les jours. C’est un peu le patron tu vois. Quand il arrive, viens avec moi, et frétille devant
lui. Genre tu es content de le voir. Avec le temps, j’ai su l’apprivoiser, je
pense qu’il m’aime bien. Ce lien entre nous fait qu’il ne me livrera certainement
pas au premier acheteur. »
« Mais, Léon, je ne vois pas le but de tout cela. Au
final, tu finiras tes jours dans l’aquarium. »
« John, je te parle très sérieusement. Mon but est de
retourner dans l’océan. Tenir bon jusqu’à ce que je sois devenu trop âgé pour
être dégusté. A ce moment-là, j’ai bon
espoir que mon ami le poissonnier me rejettera à la mer.
« Waaa ! Ah oui je comprends mieux ! »
« Hé oui. Mais c’est un travail de tous les jours. Sois
tenace. »
« Merci pour tous ces conseils. Tu es un chic homard ! » John serre
la pince de Léon.
« De rien John, n’oublie pas ces règles, et tu
survivras longtemps, qui sait, peut-être un jour nous nous retrouverons
ensemble dans les profondeurs sous-marines ! En attendant, bonne
chance, et longue vie dans l’aquarium ! »
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