Souvenirs d’une
vieille machine à écrire
Aujourd’hui, je suis
vieille. Ma carcasse gît dans un grenier, au fond d’une malle, sous un tas de
vieilles revues de mode. Derrière un rideau de velours déchiré. On peut dire
que je suis bien cachée !
Au fond de ma malle, maintenant que j’ai tout mon temps, je
me prends souvent à divaguer. Je me remémore mes jeunes années…
Il y eut une première
guerre. Un colonel froid et moustachu. Des ordres, des mutations, des missions.
C’était ennuyeux et stressant. Il faut dire que je débutais tout juste à
l’époque, un rien m’impressionnait.
Les années folles…les cabarets, le jazz… Je me souviens avec
émotion de ce jeune musicien qui écrivait
avec fougue de magnifiques textes, à n’importe quelle heure de la nuit. Secrètement,
je l’aimais. C’était une période légère, insouciante et amusante ! Lorsqu’il
m’a revendue, cela m’a déchiré le cœur.
Par la suite, j’ai changé de propriétaire bien souvent. Je
passais de main en main, vendue, revendue, prêtée et même donnée. Un maire, une
secrétaire, un médecin, un homme politique…J’en oublie. Fouillis dans ma tête,
tournis dans mes touches. Je travaillais sans cesse…J’étais si sérieuse, si empressée de bien faire.
La dactylographe était jolie. Je me souviens qu’entre deux
courriers, elle glissait en rougissant une feuille sur laquelle elle laissait
des mots d’amour s’envoler. Je n’aurais jamais trahi son secret.
Vint une seconde guerre. Mon souvenir est rayé de zones
d’ombre. Peut-être ai-je préféré oublier certaines lettres, qui me semblaient
obscures ? Des hommes sombres, en uniformes, tapaient rageusement des convocations
auxquelles le bruit de mon chariot répondait, lugubrement.
Après la guerre, j’ai atterri dans une vente aux enchères. Je
me sentais perdue, vulnérable. Un jeune
garçon m’acheta pour une bouchée de pain. Il m’emporta à la campagne. Heureusement, les
années qui suivirent furent douces et paisibles. Je ne travaillais presque pas.
Quelques lettres formelles rien de plus. Ainsi libérée, j’ai pu librement
soigner les blessures de ma mémoire, tout doucement.
Le temps a filé, le jeune garçon a grandi, des enfants sont nés. Aujourd’hui, je
sommeille dans le grenier de la ferme du garçon, devenu grand-père.
Parfois sa petite-fille vient
jouer derrière le rideau de velours. Elle ouvre la malle tout doucement. Avec
délicatesse, elle me sort, avec tendresse, elle me dépose au sol. Je suis un
peu cassée, elle prend soin de moi. Puis, malicieuse, elle tape quelques
mots pour écrire son histoire à elle. Je sors de l’oubli et nous pouvons alors
rêver à deux.
Joli !
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